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Il faut nourrir la curiosité naturelle des bébés, pas la forcer en cherchant la performance

 

 

 

Ancien directeur du laboratoire de Neurobiologie de l’Olfaction à l’INRAE, Roland Salesse siège aujourd’hui au conseil scientifique de la 5 Senses for Kids Foundation, qui œuvre à promouvoir la multisensorialité comme clé de l’épanouissement chez l’enfant. Il revient sur les mécanismes de l’apprentissage chez les tout-petits, dans lesquels les sens jouent évidemment un rôle essentiel… mais n’en sont pas les seuls rouages. Interview.

 

Les pros de la petite enfance : En quoi la sollicitation des sens chez le bébé participe à son développement cognitif ?

Roland Salesse : Toutes nos expériences, même en tant qu’adultes, sont fortement multisensorielles. Toutes nos actions engagent, quel que soit notre âge, tous nos sens. On l’observe à l’imagerie cérébrale. Notre cerveau est en quelque sorte « précâblé » pour avoir une utilité fonctionnelle. Ainsi, pour la vision, le cerveau fait appel au cortex occipital, pour l’audition à une autre zone… Quant à nos neurones, ils ne subsistent qu’en cas de connexion préalable et uniquement si cette connexion est utilisée. Ce sont nos expériences, qui se font via nos sens, qui nous rendent plus performants, mais ce sont aussi ces mêmes expériences qui font que chaque sens devient, au fil des apprentissages, plus précis.

Au cours des 1000 premiers jours, les connexions entre les neurones foisonnent et ne s’élaguent que plus tard. C’est pour cela que l’on observe chez les bébés des progrès incroyables qui s’accompagnent ensuite d’une spécialisation rapide des compétences. Ces progrès sont permis grâce la curiosité naturelle de l’enfant et à l’utilisation de ses sens. Grâce à eux, il perçoit son environnement, il crée du lien et se met en relation avec son entourage. En d’autres mots, il apprend.

Plus concrètement, comment un bébé apprend-il ?
R.S : Il y a dans tous les apprentissages du jeune enfant, deux phases. La première est la plus coûteuse en énergie. C’est une phase d’apprentissage « à vide », durant laquelle le bébé découvre sans motivation. Vient ensuite une phase plus motivante, liée à une récompense sociale. À ce titre, il faut garder à l’esprit que l’espèce humaine est hautement sociale. Elle a une aptitude naturelle a privilégier le contact avec l’autre et la récompense sociale, plus que toute autre forme de récompense. Or, dans cette seconde phase d’apprentissage, le bébé retient mieux ce qu’il va associer à une émotion positive. C’est la fameuse récompense, qui est d’autant plus forte qu’elle a un ancrage social. Prenez à ce titre un jeu de forme. La première fois que le bébé y joue, l’apprentissage est difficile. Puis, quand il sait qu’en arrivant à mettre la forme dans le trou dédié, il aura la récompense de la réussite, l’apprentissage devient beaucoup plus simple.

À ces deux phases s’ajoutent la fameuse multisensorialité. Au départ, le bébé a une image sensorielle d’un objet ou d’une personne qui active tous ses sens (la forme d’une porte, son bruit quand elle s’ouvre et se ferme,…). Puis, en grandissant, il va pouvoir l’identifier et le/la mettre en lien avec une action à partir d’un seul sens. Le bruit de la porte qui s’ouvre va lui indiquer que quelqu’un arrive ; l’odeur du repas va lui indiquer que sa maman fait à manger. Il va ainsi s’appuyer sur un cadre et y connecter tous ses sens. Il va passer d’un apprentissage de base à un apprentissage complexe d’analyse et de généralisation.

Un enfant en situation de handicap (atteint de cécité ou de surdité par exemple) a-t-il donc des capacités d’apprentissage altérées ?
R.S : Non. Chez ces enfants, les apprentissages se font simplement différemment. Par exemple, chez un enfant aveugle de naissance, on peut observer que la zone occipitale de son cerveau est « recyclée » pour d’autres choses. Dans son cas, d’autres fonctions vont être utilisées pour apprendre. Il aura donc lui aussi une représentation sensorielle complète de l’objet de son apprentissage, elle sera simplement différente de celle des autres. Comme c’est finalement le cas chez deux personnes « valides » car l’apprentissage dépend de l’expérience de chacun. On l’observe chez des animaux qui sont générationnellement aveugles et évoluent très bien.
Il peut par contre y avoir deux autres problématiques chez les enfants en situation de handicap. La première est sociale. Nous évoluons dans une société extrêmement visuelle et quand le sens manque, c’est cette organisation sociétale qui peut devenir handicapante pour l’enfant. La seconde apparaît quand le handicap est acquis. Dans ce cas, les apprentissages ne peuvent plus se faire de la manière, ce qui les rend plus difficiles.

Comment permettre cette approche multisensorielle de l’apprentissage, notamment en matière d’aménagement des lieux d’accueil  ?
R.S : Un environnement riche est toujours profitable pour favoriser les expériences sensorielles. Il l’est d’autant plus qu’il permet de déceler chez certains enfants une absence d’intérêt pour certains sens qui pourrait trahir un handicap qui n’aurait pas été diagnostiqué. C’est par exemple le cas pour l’anosmie d’un bébé (l’absence d’odorat) qui est souvent repérée sur les lieux d’accueil. Mais, la richesse de l’environnement ne fait pas tout. Au contraire, avoir un espace commun où tout le monde se rencontre est plus important encore, voire primordial car l’apprentissage se fait, chez les bébés, surtout via l’interaction avec les autres, qu’ils soient enfants et les adultes (la fameuse récompense sociale). Si ces deux facteurs sont réunis, les bébés apprennent facilement à condition qu’on les laisse faire leurs expériences. C’est là aussi un point essentiel : nous sommes dans un monde très, trop sécuritaire, où par souci de prévention du danger, nous empêchons souvent les enfants de faire leurs expériences. En réalité, le plus important est d’offrir aux bébés une ambiance sécure, où ils se sentent en confiance pour faire leurs apprentissages de leur propre chef. La multisensorialité vient, dans ce contexte secure, naturellement.

Et en dehors de l’aménagement, quid du rôle des professionnels dans ces apprentissages ?
R.S : Il y a chez chacun, et a fortiori chez les bébés, un phénomène de redondance intersensorielle dans l’apprentissage. On le sait : quand l’apprentissage est acquis via l’experience multisensorielle, il suffit d’un sens pour le rappeler. Mais pour parvenir à ce résultat, la familiarité avec l’objet permet d’en augmenter la connaissance et constitue donc un levier de motivation. En d’autres mots, plus l’enfant est familiarisé avec un objet, mieux il le connaîtra, plus il pourra apprendre de nouvelles choses. Et c’est là que peuvent intervenir les professionnels, notamment en favorisant cette familiarité avec les objets qui constituent l’environnement du bébé. Il est important aussi de garder à l’esprit que les leviers émotionnels sont toujours les plus forts dans les apprentissagse des enfants. Et là encore, les personnes qui accompagnent les enfants peuvent agir, en favorisant les émotions positives.

Les professionnels sont de plus en plus sensibilisés à la stimulation des enfants, voire à leur surstimulation. Face à un tout petit, peut-on en faire trop ?
R.S : Je ne pense pas qu’il faille s’inquiéter d’une éventuelle surstimulation des enfants en bas-âge. Quand un bébé arrive à saturation, il se désintéresse simplement de l’objet d’apprentissage. C’est pourquoi, il n’est jamais préjudiciable et au contraire intéressant, de placer les enfants dans un environnement riche. En effet, deux animaux placés dans le même environnement ne vont pas en tirer les mêmes apprentissage. Il en va de même avec les bébés. Dans un environnement riche, ils vont naturellement s’orienter vers ce qui attise leur intérêt, leur curiosité.

Ce qui est plus problématique est de chercher la performance chez les enfant en bas âge. Certes, il a parmi ces enfants des prodiges, mais il ne faut pas chercher à tout prix à en faire des génies. Si un enfant ne s’intéresse pas un apprentissage, il ne faut pas chercher à l’y engager à tout prix. Le rôle des adultes est de nourrir la curiosité naturelle de l’enfant, pas de la forcer. Ce serait contre-productif.

Pour aller plus loin :

Article rédigé par : Véronique Deiller

Publié le 28 octobre 2022

Mis à jour le 12 juin 2023