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Les jeux corporels : l’éveil à la conscience de soi

Un bébé dont le rythme de développement est bien respecté, en grande sécurité affective, est un bébé curieux de son environnement. Il commence par découvrir le monde avec sa bouche, ses mains puis tout son corps.

Attendue à 12 mois dans les familles et vers 14 mois par les professionnels de santé, la marche s’installe dans les faits entre 9 et 18 mois. Cet âge de la vie, le seul qui mérite d’être appelé « bébé » est précieux en soi et pas seulement en tant que préparation à la conquête de la verticalité et à la marche bipède. Pendant ses temps de veille, entre deux séquences de sommeil, le nourrisson n’a pas conscience de jouer car il ne distingue pas les expériences vécues à l’occasion des soins corporels et celles qui seraient permises dans un espace/temps réservé au jeu. Les premiers mois, le bébé fait surtout la différence entre les moments de douleur ou de manque et ceux d’apaisement des tensions et de bien-être. La théorie de l’attachement explique à quel point un bébé en grande sécurisé affective est en même temps curieux de tout ce qui l’entoure. Un bébé insécurisé et anxieux manifeste de manière moins constante l’envie de s’ouvrir au monde. Les jeux corporels constituent la première expression de cet équilibre entre attachement et exploration.

Jouer avec la bouche                                                                                                                                                                                                                            La zone buccale est un terrain d’exploration sensorielle et une grande source de plaisir. La bouche réserve bien des surprises au petit explorateur de son propre corps : bouger les lèvres, claquer la langue, produire des sons, gonfler les joues, sentir l’air passer, faire couler la salive… Sophie Marinopoulos  psychologue et psychanalyste, spécialiste de la parentalité considère la bouche du bébé comme un véritable « tapis d’éveil ».
Le bébé a besoin de temps, tranquille, dans les bras, dans le lit, dans le parc, dans le transat ou, encore mieux, confortablement installé au sol, pour expérimenter à loisir la mobilité de la zone orale et pour déployer la variété de sons qui peuvent sortir de sa bouche. La tétine, qui répond bien au besoin intense de succion des premiers jours et des premières semaines, peut devenir une entrave à cette exploration de la sphère buccale si elle est systématiquement donnée au-delà de 4 ou 5 mois. Avec la poussée dentaire, les petits accidents de morsures peuvent être interprétés, à tort, comme des manifestations agressives alors qu’elles font partie des comportements exploratoires de la première année. C’est le moment de suggérer aux parents d’éviter de jouer trop souvent à mordiller les pieds et les mains de leur bébé. À cet âge, les enfants qui mordent le font parfois par imitation car leurs parents utilisent beaucoup de gestes et de mots qui évoquent le plaisir de « croquer » et « dévorer ». Avant le sommeil ou dès le réveil, avant ou après le repas, isolé ou dans les bras, le bébé ne rate aucune occasion pour explorer toutes les ressources sensorielles et vocales de la zone buccale et s’en réjouir. L’adulte en est le témoin silencieux ou l’observateur participant, lorsque les mimiques et les bruits de bouche deviennent l’occasion d’un dialogue non verbal.
Dès qu’il peut, le bébé porte tout objet jusqu’à sa bouche et expérimente ainsi les différences de texture, de température, de matière… Même lorsqu’il aura acquis la saisie volontaire et la précision du geste, il continuera de tout porter à la bouche. C’est sa manière de prendre connaissance et de se familiariser avec un nouveau jouet avant de le manipuler.
Jouer avec ses mains
Au début du troisième mois, il semble découvrir ses mains pour la première fois. Jusque-là, ses poings étaient souvent fermés et crispés ; à présent, il les détend et les porte à la bouche, il agite les bras et suit leur mouvement du regard. Il joue avec ses mains sans avoir pleinement conscience qu’elles lui appartiennent. Il s’émerveille lorsqu’une ou l’autre passe devant ses yeux, comme s’il était étonné d’être l’auteur du mouvement. De semaine en semaine, il contrôle mieux ses propres gestes : ouvrir et fermer les mains, les taper l’une dans l’autre, lever et baisser les bras, faire des cercles. Au fil des mois, il imite de plus en plus les actions des adultes et devient un fin observateur : faire au revoir, coucou, les marionnettes et d’autres prouesses manuelles répétées avec jubilation.
Le bébé qui joue avec ses mains ne s’ennuie pas car il prend plaisir à être acteur du mouvement. En même temps, il construit sa conscience d’unité corporelle, processus complexe dont le jeu n’est qu’un élément.

Jouer avec tout son corps
Loin de rester immobile, le nouveau-né change souvent de posture comme il le faisait déjà in utero. Aussi peut-on considérer que bien avant la marche, le bébé connaît les joies du mouvement et du déplacement. Tous ses efforts, en position horizontale puis verticale, s’accompagnent du plaisir d’être actif et de sensations internes dites proprioceptives.
Peu à peu, le petit d’homme redresse la tête et la dirige, s’enroule et s’étire, roule sur le côté, se tourne et se retourne, rampe à plat ventre puis en soulevant les fesses et même les genoux. Un jour, au hasard des changements de positions qu’il expérimente, il découvre la main comme point d’appui, il redresse son buste tout en écartant ses jambes et trouve ainsi son équilibre en position assise. Il lui faudra encore répéter de nombreuses fois ces transitions avant d’apprécier le confort de cette nouvelle posture. Un autre de ses centres d’intérêt est la conquête de la station debout : il se hisse, se tient et se retient comme il peut pour rester debout, se déplace avec appui… Même s’il a fait quelques pas en équilibre sur ses jambes une fois ou deux, sous le regard réjoui d’un adulte, le bébé a encore envie et besoin de consolider pendant plusieurs mois son activité musculaire et posturale au sol.
Le concept de « motricité libre » fournit aux professionnels des supports à la fois théoriques et pratiques en vue de faire confiance au bébé pour organiser par lui-même la succession de ses mouvements spontanés.

Pas d’accessoires ou jouets sophistiqués
Les jeux corporels initiés par l’enfant sont suffisamment nombreux, diversifiés et évolutifs pour rendre inutiles des accessoires ludiques coûteux, encombrants et entravant la liberté de mouvement. Psychomotriciens, kinésithérapeutes et autres professionnels de santé donnent des explications sur les défauts de certains matériels de puériculture et proposent des attitudes valorisant le corps comme première source de plaisir et comme premier terrain de jeu. Les professionnels de la petite enfance, qu’ils exercent dans un cadre familial ou en collectivité, sont bien placés pour observer que le bébé a besoin de temps pour « habiter son corps » à son rythme et pour éprouver des sensations corporelles porteuses de sens sur le plan psychique. Plus long et plus difficile est de sensibiliser les parents à une utilisation prudente, limitée ou même inexistante des trotteurs (youpalas), centres d’activités et autres accessoires ludiques sophistiqués. En effet, il ne s’agit pas de culpabiliser les parents à l’affût des dernières nouveautés hi-tech, d’autant plus que ces équipements controversés sont en vente libre. Des réunions d’information, l’affichage de conseils pratiques et le dialogue au quotidien peuvent donner envie aux familles d’aménager, à domicile aussi, un espace favorable aux jeux corporels du bébé.

Conditions favorables aux jeux autocentrés
– Un tapis de sol pas trop encombré de jouets.
– Des vêtements dans lequel le bébé est à l’aise.
– Ne pas utiliser longtemps le transat comme espace de jeu.
– Ne pas bannir le parc, qui peut être un espace de jeu satisfaisant.
– Respecter les moments de jeu dans le lit, avant ou après le sommeil.

Article rédigé par : Fanienne-Agnès Lévine
Publié le 10 février 2017
Mis à jour le 13 novembre 2017