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Faut-il jouer avec les enfants?

 

Certains diront que tout salaire justifie un travail et que rester assis à les regarder jouer ne permet pas de répondre à cette exigence. Cette simple question nous emmène sur des chemins complexes ; essayons de tirer modestement certains fils. Le titre de ce texte indique déjà que l’adulte a une place, mais laquelle ?

Faut -il être actif ?

Nous sommes en présence de deux individualités ; l’une qui joue et l’autre qui « fait jouer » ou qui « joue avec », ou qui « ne fait rien », deux personnes, l’enfant et l’adulte, qui ont leur propre rapport à leur activité. Si je m’en tiens à mes connaissances, c’est l’enfant qui doit être actif. À travers son activité, l’enfant agit sur le monde, il prend conscience de lui-même et de ses compétences ; c’est un besoin fondamental dans la construction de soi. La littérature est abondante pour défendre l’importance du jeu pour l’enfant ; jouer, c’est sérieux. La qualité des « apprentissages » de l’enfant au cours de son jeu est d’autant plus importante qu’il en est l’initiateur et le seul directeur des programmes.

La difficulté pour l’adulte, c’est que lui aussi a besoin d’être actif, regarder un enfant jouer peut donner le sentiment de ne rien faire. Il est nécessaire pour les professionnels de comprendre le sens de leur travail, mais aussi de développer l’observation professionnelle qui est en soit une véritable activité. Cette activité a pour fonction de soutenir l’enfant dans son activité (je reprendrai cette idée un peu plus loin), d’apprendre de « cet enfant-là », mais aussi de nourrir nos connaissances autour du développement de l’enfant. Nous pouvons aussi développer un « lien d’émerveillement » et ce n’est pas un mal de se poser, les enfants jouent souvent mieux lorsque nous ne bougeons pas.

L’activité de l’adulte ne doit pas s’opposer ou prendre la place de celle de l’enfant, sa fonction principale est de favoriser l’activité autonome du tout-petit. La position d’observateur permet cette distance et préserve l’espace de jeu de l’enfant. Observer, c’est prendre pour soi le temps de l’autre.

La solitude

Ça n’existe pas… et pourtant, c’est bien cet autre élément qui nous impose parfois de jouer avec les enfants ; pour qu’ils ne soient pas seuls, qu’ils ne s’ennuient pas. Projections, représentations ; un enfant seul, ça n’existe pas et la solitude est souvent présentée comme négative. « Être seul est l’un des biens les plus précieux et la preuve d’une certaine maturité affective », nous dit Winnicott dans son texte « La capacité d’être seul ». Si être seul, c’est le lien de soi avec soi-même, alors, la solitude est peut-être une condition pour être en lien avec le monde. La solitude, c’est être en liens, nous dit Winnicott, l’esseulement, c’est être sans lien nous dit Hannah Arendt. La difficulté se situe là, dans la perte du lien avec le monde, donc avec soi-même.

Nous devons permettre aux enfants d’apprendre la solitude ; si la pensée, c’est le dialogue de soi avec soi-même, alors nous devons leur offrir de développer cette capacité qui leur permettra par la suite de penser avec les autres. Nous sommes bien sur le chemin du jeu au « je ». La solitude, comme l’autonomie, se construit pour l’enfant en présence de l’adulte. Ce paradoxe porte en lui la complexité du travail des professionnels. Et pourtant, c’est bien en présence d’un adulte sécurisant que l’enfant va faire l’expérience d’être en lien avec lui-même, et faire œuvre d’initiatives et de compétences. De plus, il trouvera du plaisir à sa propre activité. Avec le temps, il « intériorisera » la présence sécurisante de l’adulte et pourra partir seul vers le monde, c’est-à-dire, bien accompagné.

La place de l’adulte

L’enfant ne peut pas jouer seul, et pourtant, il n’a pas besoin d’un adulte actif dans son jeu – dans son « je », si vous préférez. Emmi Pikler nous a montré que la première place de l’adulte dans le jeu de l’enfant est… dans les temps de soins corporels comme le change ou le repas ; ces temps où l’adulte est en relation étroite avec l’enfant, dans une relation continue, respectueuse, attentive, pleine de sens. C’est dans cet espace que l’enfant se « remplit » de cette relation, par la suite, dans l’espace de jeu, il portera en lui la relation.

L’autre place de l’adulte se trouve dans la qualité de sa présence dans l’espace de jeu, cette attitude profonde faite de disponibilité psychique, de regard et de contenance.

La qualité de la relation établie avec l’enfant au cours des soins renforcera chez lui cette attention continue à l’enfant en dehors des temps de soins.

L’aménagement de l’espace doit être pensé afin de favoriser le regard entre l’enfant et les adultes présents. Pour jouer, l’enfant s’appuie sur la présence de l’adulte, cet appui lui permet de construire ses appuis internes. Parfois, c’est quand je suis assis à « ne rien faire » d’autre que regarder les enfants jouer que je me dis qu’en équipe, nous avons bien travaillé.

Même si l’adulte ne doit pas s’interdire de jouer avec l’enfant, le jeu regarde l’enfant et l’adulte regarde l’enfant jouer. L’adulte, par la qualité de sa présence, est le médiateur de la rencontre entre l’enfant et son moi profond, il doit trouver la juste distance, ni trop loin, ni trop près, soutenir par une présence bienveillante et penser que nous ne jouons pas avec les enfants : nous sommes invités dans leur jeu.

Mis en ligne sur Cairn.info le 07/08/2014